« On y voyait une jeune poulpe, Heidi, en train de rêver dans son sommeil : c’est toute une histoire qui s’est déroulée sous nos yeux, une histoire dont nous pouvions sans peine suivre, d’après les couleurs sans cesse changeantes (et, reconnaissons-le, avec l’aide des commentaires de son hôte scientifique30), chacun des rebondissements – dans son rêve, elle aurait vu un crabe, et ses couleurs, de blanches, tournent au jaune pâle. Puis soudain tout son corps adopte un gris très foncé, ce que font les poulpes qui quittent le fond. Enfin, toujours conduite par son rêve, la voilà qui a attrapé le crabe. Et là encore, d’autres motifs s’imposent : il faut à présent se camoufler pour s’occuper tranquillement de lui. Elle ira alors, toujours immobile mais cette fois vêtue d’un vert semblable aux plantes qui forment son paysage onirique, s’asseoir quelque part et, sans être vue, pourra le déguster. Ainsi, par leurs couleurs, par le jeu sur les apparences, les poulpes raconteraient-ils des histoires. Peut-être, pourquoi pas, comme l’attesterait ce rêve, des fabulations ? »

Vinciane Despret. « Autobiographie d’un poulpe. »